07/08 18:55 b.collet :
Internet raconté à Kerkiki (oeuvre
pédagogique)
Au début, il y avait UNIX. Enfin, pas exactement.
Au début, il y avait
le Néant. Il y en a qui disent qu'entre
Néant et UNIX, les ordinateurs
savaient déjà parler, qu'ils
étaient bien élevés, qu'ils ne parlaient
qu'entre individus
de même marque. Mais comme les temps historiques
commencent
avec UNIX, cela se passait donc dans le temps pré-historique.
Par
exemple, en l'an 1970 avant UNIX est né un certain individu
répondant au nom de Jésus. Ou si vous préférez, Jésus est
né en -1970.
Mais les temps négatifs causent toutes sortes
d'ennuis, comme des
vitesses imaginaires, des masses négatives,
une attraction répulsive,
enfin vous voyez le genre, on ne
peut pas tolérér ça. Donc, nous
considèrerons que la
préhistoire n'est qu'une fable, et Jésus un
imposteur.
Au début disions-nous, Dieu, qu'on appelait à ce
moment (allez donc
savoir pourquoi) Eille-Ti-Ti, Dieu donc
contemplait UNIX et le trouvait
plutot joli. Un peu difforme,
mais joli. Les hommes n'étaient pas tous
de cet avis. Il y en
a qui trouvaient UNIX inutile, mal foutu, voire
carrément
immoral. Parmi ces derniers, certains disaient qu'un truc
qu'on
peut pas vendre ça sert à rien, ça fait du Chiffre d'Affaire en
moins, du chômage en plus, que c'était une invention du
Diable, et qu'il
finirait en Enfer, le lieu des sept péchés
capitaux, parce que les
octets n'y ont que sept bits.
D'autres n'étaient pas du tout d'accord. Ils
prétendaient qu'UNIX,
c'était une bonne idée, plutôt
rigolotte. D'ailleurs, ils s'amusaient
comme des fous. Un de
leurs jeux préférés s'appelait You-Hou-Cipi, que
ces
feignants écrivaient UUCP. UUCP prenait des octets ici, à Stanford,
et hop... ils se retrouvaient là-bas à Berkeley. Lorsqu'une
machine UNIX
veut parler à une autre machine UNIX, elle
l'appelle au téléphone et lui
dit "You-Hou c'est moi,
j'ai des colis pour toi" et l'autre répond
"Merci,
ça tombe bien j'en ai aussi pour toi", elles échangent leurs
petit colis et elles raccrochent.
Avec UUCP, on pouvait envoyer toutes sortes de
choses: des bonbons, des
chocolats et même des fichiers. Les
informaticiens sont de grands
enfants et faire tourner les
octets autour de la planète est un de leurs
jeux préférés.
Ils écrivaient des logiciels amusants, qui ne servaient à
rien,
à la grande colère de leurs patrons. Par exemple, MAIL permettait
d'envoyer du courrier aux copains. Chacun avait son adresse
MAIL et il
suffisait de la mettre dans le "To" pour
que le message lui parvienne.
Tout le monde pouvait envoyer des
nouvelles, savoir quel temps il
faisait là-bas, si la famille
se portait bien, et à quelle heure partait
l'avion pour
Tombouctou. Bien sûr, c'était complètement inutile mais
comme
on avait besoin des informaticiens pour éditer les fiches de paye,
on les laissait faire.
Ainsi est né l'e-mail.
Quand quelqu'un avait une idée géniale, par
exemple comment beurrer une
biscotte sans la casser, il la
tapait sur son ordinateur et hop... les
copains en profitaient.
Mais ils avaient beaucoup de copains et il
fallait mettre tous
leurs noms dans le "To", c'était vite fatiguant. Ce
qui
aurait été plus marrant, c'était un logiciel qui prenait la
recette
des biscottes et hop... la diffusait automatiquement à
tous les copains
dans le monde entier. Ca, oui, c'était une
idée vraiment rigolotte.
Alors ils s'enfermèrent dans leurs salles
climatisées. Les patrons
frappaient à la porte, mais ils s'en
foutaient parce qu'ils savaient
qu'à la fin du mois, on aurait
besoin d'eux pour éditer la fiche de paye
des patrons. Ils
construisirent un nouveau logiciel, qu'ils baptisèrent
NEWS.
NEWS était bien plus rigolo que MAIL. On tapait la recette des
biscottes sur son clavier, et hop... tout le monde avait la
recette des
biscottes. Pas seulement Stanford et Berkeley, mais
aussi Tokyo, Sidney
et Issy-les-Moulineaux.
Comme ça faisait beaucoup de messages à lire tous
les jours, des
millions de messages, on convint très vite que
les recettes pour beurrer
les biscottes seraient envoyés dans
un groupe spécial nommé
loisirs.cuisines.biscottes, les
horaires d'avions dans
transport.aéroplanes.horaires. Mais pas
les recettes pour construire
l'avion, qui iraient dans
ingéniérie.machines-volantes, pas plus que les
informations
touristiques sur Tombouctou qui, elles, iraient dans
tourisme.exotisme.tombouctou. Comme ça, tout le monde était
content et
ne lisait que les nouvelles qui l'intéressait.
Ainsi est né Usenet.
Mais UUCP était un peu feignant. Il attendait que
les paquets
s'amoncellent dans son petit panier, puis quand le
panier était plein,
il appelait le voisin pour lui
transmettre. Comme le voisin en faisait
autant, ainsi que le
voisin du voisin, le voisin du voisin du voisin,
etc etc... un
colis partant de Berkeley pour Tombouctou pouvait arriver
quelques
jours plus tard, en tous cas bien après l'avion direct
Berkeley-Tombouctu. Ce qui était gênant car on ratait
l'avion.
Alors, les informaticiens s'enfermèrent à nouveau
dans leurs salles
climatisées, avec beaucoup de hamburgers et
de Coca-Cola, et créèrent
TCP/IP. TCP/IP, c'était la langue
universelle qui permet à tous les
ordinateurs de causer en
temps-réel. TCP était beaucoup plus rapide que
UUCP. Quand la
recette pour la biscotte partait, disons, à huit heures
du
matin, elle arrivait à huit heures dix chez les copains, pile pour
le
petit déjeuner. Et les horaires d'avion arrivaient avant
l'avion, ce qui
était un net progrès.
Ainsi est né Internet.
Internet était tellement drôle qu'il resta leur
jeu préféré pendant
vingt ans. Mais les choses changeaient,
les banques tournaient en
automatique, les fiches de paye
sortaient toute seules, et les patrons
commençaient à faire
les gros yeux. Plus question de jouer,
disaient-ils.
Maintenant, il faut "fèrdufric". Mais comment fèrdufric
quand on ne sait que fabriquer des jouets?
C'est alors que quelqu'un se dit : "on va
vendre Internet. Comme ça on
va férdufric tout en continuant
à jouer". Les patrons acquiéscèrent, ne
voyant pas
qu'on se payait leur tête. On habilla donc Internet pour
qu'il
soit présentable, on lui mit des basketts neuves (les anciennes
étaient un peu crades), et une cravate parce que ça fait
sérieux. On
rameuta les journalistes et on leur fit croire que
c'était un nouveau
truc, que ça s'appelait "Cyber",
que ça allait créer des emplois,
changer la société, rendre
l'homme plus heureux, et surtout fèrdufric.
Les journaliste, qui croient tout ce qu'on leur
dit, mirent Cyber à
toutes les sauces. C'était un vrai
déluge. Cyber pas ici. Cyber par là.
Cyber à chaque coin de
rue. Les informaticiens commençaient à entrevoir
la connerie
qu'ils avaient faite, et Cyber leur donnait la nausée. Mais
c'était
trop tard! Tout le monde voulait du Cyber: les patrons, les
étudiants, les ménagères de moins de 50 ans, les coiffeurs,
les garçons
de café, et même les généraux en retraite.
C'est là que les choses commencèrent à se gâter,
parce qu'évidemment sur
Internet, on ne se contentait pas
d'échanger des recettes de biscottes
mais (vous connaissez la
nature humaine) on s'envoyait aussi des photos
cochonnes.
Lorsqu'un général en retraite ou un même un garçon de café un
peu coincé trouvait une femme à poil entre les recettes de
biscottes (ou
un homme à poil, mais c'est un autre sujet), il
hurlait que c'était un
scandale, qu'Internet était un repaire
de débauchés, de pornographes, il
ajoutait de pédophiles et
de terroristes pour faire bon poids, et il
ameutait les
journalistes.
Sur ce, les politiciens, qui découvraient
Internet, poussèrent des cris
horrifiés. Ils disaient que
c'était pas tolérable, que les enfants
devaient pas voir de
femmes à poil (pour les hommes à poil, on verrait
plus tard),
qu'il fallait faire quelque chose et que ça n'allait pas se
passer
comme ça, non mais des fois! Comme ils ne savaient faire que deux
choses, interdire et nous prendre du pognon, ils décidèrent
d'interdire
ces cochonneries.
On essaya de leur expliquer que, oui, on pouvait
faire comme ça, mais
que ça posait des tas de problèmes. Par
exemple, si le serveur était à
l'étranger et que les
étrangers le trouvaient pas si cochon que ça. Ou
bien qu'on
trouverait toujours un pays sympa pour le déménager, un peu
comme
la Suisse ou le Panama était très sympas avec leur comptes en
banque et leurs yatchs. Ou encore pire, si le serveur était à
la fois
partout et nulle part, comme pour Usenet.
Là, ça devenait très dur pour eux. Ils avaient
réalisé que, pendant
qu'ils s'occupaient de leurs comptes en
banque et de leurs yatchs, la
technologie les avait
complètement dépassés, que tout le monde pouvait
communiquer
avec tout le monde dans leur dos, qu'il n'y avait plus
d'autorité
centrale. Bref, qu'ils s'étaient fait complètement dépasser
sans
voir venir le coup (comme d'habitude) et qu'ils allaient ramer
sérieusement pour récupérer la gaffe.
Alors, ils firent ce que font tous les politiciens
dans ce cas-là: ils
nommèrent une Commission. La Commission
se réunit, laissa parler
poliment tout le monde, les avocats,
les hommes d'affaire, les
spécialistes de ci, de ça et de
rien. Même les gens concernés, ceux qui
jouaient avec
Internet, étaient présents pour dire que ça commençait à
bien
faire toute cette hystérie, que si c'était pour en arriver là, ils
auraient mieux fait de se cuiter au Jack Daniels le jour où
ils avaient
inventé l'Internet, que la prochaine fois ils
diraient rien à personne
et ils garderaient leur jouet pour
eux, non mais sans blague!
La Commission remercia tout le monde et déclara:
"Voila, les
utilisateurs d'Internet s'engageront à ne pas
faire de cochonneries". On
lui demanda ce qu'elle
entendait par "cochonnerie", elle répondit que
c'était
des choses très graves comme, par exemple, poser des bombes ou
abuser des petits enfants, et aussi plein de choses moins
graves mais
graves quand-même comme être grossier avec les
vieilles dames, roter à
table, péter au lit, mettre la main
au fesse de la serveuse, ou
accrocher des casseroles dans le
dos des hommes politiques.
Le Ministre remercia la Commission pour cette
fulgurante avancée
sociale. Les avocats se frottaient les
mains en perspective de tous ces
beaux procès. Les vieilles
dames étaient rassurées. Bref, tout le monde
était content,
à l'exception de quelques irréductibles qui disaient que
ça
posait un léger problème avec un détail dans la Constitution qu'on
appellait "liberté d'expression", qui autorisait à
accrocher des
casseroles dans le dos des hommes politiques, ou
à les affubler de
toutes sortes d'objets au choix, entonnoirs,
boules puantes, fausses
factures, comptes en Suisse, baignoires
en Comblanchien, pianos à queue,
bref tout ce qu'on voulait
pourvu que ça soit rigolo.
"Pas grave" leur répondit le Ministre,
"vous représentez 1/360 de la
population, on va donc vous
réserver un jour où vous pourrez faire ce
que vous voudrez
sur Internet et nous accrocher toutes sortes de choses
dans le
dos, même des poissons, sauf des morues parce que ça pue. On
commence aujourd'hui".
C'est ainsi qu'est née la tradition du 1er Avril,
toujours très prisée
sur Internet. Merci
b.collet
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